A Kenza

On passe et on se repasse la bande. Des instantanés, des bouts de vie, des regards, des mots, ceux qui blessent, ceux qui pansent. Des joutes verbales dignes de combats sanglants de gladiateurs. Des mots vitrioliques, ceux qui abattent. Des mots d’espoir au milieu de la foule. Des instants d’accalmie, ne pas flancher, respirer encore et encore, reprendre son souffle, le temps de se refaire des forces pour mieux affronter les lendemains incertains.
En fin de compte à quoi tient cette vie? Ils étaient beaux jeunes, mais ont choisi une autre voie que celle de l’insouciance. Et si nous cherchions encore l’étincelle perdue de leur regard. Quête sans cesse renouvellée. Et le feu qui dévorait de son ardeur leurs âmes l’espérions-nous inconsciemment en grandissant à l’ombre du souvenir de ces géants? Jamais les rues de Montréal n’avaient ployé autant sous le poids des arbres et de leurs jeunes feuilles, jamais le crépuscule ne m’avait paru aussi éclatant de son orange cramoisi, jamais l’autoroute n’était devenue un tapis magique. Lorsque tu as prononcé son nom et que j’ai réagi, tu ne peux imaginer ce mélange d’émotion et de tendresse que tes yeux contenaient. Sous les ormes, ces jeunes qui n’ont pas pu vieillir ont revécu le temps d’une conversation qui prenait tout son sens. Je savais qu’il y avait un fil inconnu qui faisait que nous nous connaissions sans avoir eu la chance de nous connaître vraiment. Et j’ai aperçu cette flamme dans tes yeux, ma jeune amie, celle qui ne trompe pas. Je savais dès la lecture de tes billets qu’il y avait un trésor enfoui, je ne me doutais pas que ces noms pouvaient une fois de plus rassembler juste par leur murmure, par leur souvenir.
Et si nous avions cherché, tellement cherché alors que le souvenir détenait, à lui seul, le secret du labyrinthe.
Merci, de tant de gentillesse et surtout de t’être déplacée malgré la grève. Sans cela, nous n’aurions jamais fait revivre ce géant amoureux d’une terre si ingrate.
Et tu sais, hier tard dans la nuit lorsque j’ai enfin eu l’occasion de lire mes courriels, Ali Kaitouni avait envoyé des photos de la prison de Kenitra. Il y avait là Benmalek, Kaitouni, Harrif, Serfaty, Benzekri, Khayar, Rakiz, Srifi, Bennacer et Nouda. Puis d’autres à la libération de Benzekri. Et ces sourires. J’ai eu une pensée pour nos gladiateurs.
Et pour un instant j’ai imaginé qu’ils étaient baobabs majestueux nous protégeant du soleil aveuglant.
Aucune envie de relire ou revoir ce petit mot, il est aussi spontané que le souvenir de ceux qui l’ont inspiré.
Mwah