Les mots, ceux qui courent, qui éveillent, qui virevoltent. Les mots, ceux qui séduisent, qui vous plongent dans l’univers des autres, ceux qui font que vous les achetiez, que vous deveniez voyeur et que vous en redemandiez. Ces mots, j’envie leurs auteurs, je devine leur angoisse, leur frustration face à la page blanche, les personnages qui leur échappent, qui leur donnent du fil à retordre, les récits qui prennent une toute autre trajectoire que celle imaginée par l’auteur. Certains mots ont jailli suite à des injustices, des questionnements, des observations. D’autres sont nés du désir, de l’imagination sans limites.

Lalla Knouz me tend la perche avec le questionnaire de Procuste, tout un phénomène que ce dernier personnage de la mythologie.

Je ne sais pas si je suis ce que je lis, je dirais seulement que je suis aussi éclectique que mes lectures. Je tiens quand même à dire que j’Adore Camus qui n’est pas cité et aussi Kafka et bien des auteurs. Bon, on y va.

Questionnaire de Procuste

Les 4 livres de mon enfance
-Le premier livre La case de l’oncle Tom de Harriet Beecher Stowe gagné comme prix en 1ère année chez les Jésuites, lu et échangé contre un dont je ne me souviens plus du titre.
-Michel Strogoff de Jules Vernes, lu d’une seule traite un soir d’automne en 3ème année du primaire, ah le bon vieux temps de l’école Madania.
-Multiple Splendeur de Han Suyin, médecin de formation, livre lu un été durant la journée pendant que ma tante le lisait le soir.
-Les misérables de Victor Hugo, cadeau d’anniversaire pour mes 12 ans et là s’acheva mon enfance.

Les 4 écrivains que je lirai et relirai encore :

– Victor Hugo

– Dostoïevski

– Driss Chraibi

– Mohammed Khair Eddine

Les 4 auteurs que je ne lirai probablement plus jamais

– Paolo Coello (Je ne peux tout simplement plus)

– Michel Houellebecq (trop éthéré pour moi)

– Bernard-Henri Lévy (il me les pompe tout simplement)

– Abdelhak Serhane (le réalisme, je n’en peux plus)

Les 4 premiers livres de ma liste à lire ou à relire :

– Mon nom est rouge d’Orhan Pamuk
– Memed le mince de Yasar Kemal
– Les piliers de la terre de Ken Follett
– Au col du Mont Shiokari de Miura Ayako

Les 4 livres que je suis en train de lire

Trop de boulot pour m’évader, dans quelques semaines j’espère.

Les 4 livres que j’emporterais sur une île déserte

– Les piliers de la terre de Ken Follett
– Le joueur de Dostoïevski
– Le périple de Baldassare d’Amine Maalouf
– Sinouhé l’Egyptien de Mika Waltari

Les premiers mots d’un de mes livres préférés

Le jour où je suis né la terre a tremblé à Santiago de Cuba. C’est du moins ce que soutenait ma mère. Fallait-il la croire ou pas ? Le fait est que j’eus droit, au cours de ma petite enfance, à diverses versions de cet accident héroïque.
 » Tu es né à l’instant précis où le sol s’est mis à trembler, les murs à se fendre, les toitures à s’effondrer… Tout commençait à valser dans la maison quand la sage-femme haïtienne qui était venue m’aider à accoucher eut la bonne idée de faire transporter mon lit dans la rue. C’est là que tu es né ! Quelques instants plus tard, la chambre n’était plus qu’un amas de pierres et de bois calciné… Tu es venu au monde, mon fils, le lendemain du plus terrible tremblement de terre de toute l’histoire de Santiago de Cuba. Notre maison avait été providentiellement épargnée par les éléments en furie…  »
Femme à l’imagination débordante, ma mère avait le don d’interpréter la réalité à sa convenance, tout comme elle ne se privait pas de réinventer sa vie au jour le jour.
Elle avait de longs cheveux bouclés, toujours bien peignés. Ils brillaient de reflets bleutés grâce à l’huile parfumée,  » recette de femmes hindoues « , dont elle les enduisait. Ma mère était fière de ses cheveux et de ses yeux  » plus noirs que l’onyx « . Fuyant le soleil cubain qu’elle trouvait beaucoup plus fort que le soleil andalou de sa naissance, elle refusa toute sa vie de se rendre à la plage.
 » Je n’ai pas besoin de rôtir sous le soleil tropical. Je tiens à garder le teint de mes origines.  »
Ses origines…
Encore une source de mensonges éhontés. En fonction de son interlocuteur, ma mère se proclamait  » syrienne  » ou  » gitane « . Je l’ai même entendue évoquer, une fois, son  » arrière-grand-mère turque « . Quand je m’étonnais de l’incohérence de ses affirmations, elle prenait un air de mater dolorosa, imitant le regard éploré et le geste tragique d’une Vierge peinte par Murillo, et qu’elle tenait pour son portrait tout craché.
 » La vie est dure, mon fils, murmurait-elle en caressant mes cheveux aussi noirs, bouclés et huilés que les siens. Sache que je ne mens jamais, je donne juste un peu de couleur aux choses qui sont grises. J’invente une stratégie de survie. Un jour tu comprendras. Je te le promets, un jour, je te dirai tout.  »
Chaque matin selon l’humeur elle nous jouait un rôle. Quand elle réveillait la maison en fredonnant un air d’Imperio Argentina tout le monde comprenait que, ce jour-là, Sarah-Soledad jurerait devant l’image de la Macarena qu’elle était née en pleine sierra Morena, au sein d’une tribu de gitans fiers de leur liberté et n’ayant peur de rien ni de personne. D’autres matins, le calme régnait et je trouvais ma mère à la cuisine. Levée à l’aube, elle préparait des gâteaux, repassait le linge de la semaine, organisait des dîners… Devant les yeux étonnés de son fils et des  » gens de maison  » qui nous entouraient, ma mère prenait le temps de jouer, pour nous – son public acquis d’avance -, la jeune fille de la maison qu’elle avait été dans un coin radieux de son Andalousie natale. Quel coin ? me demanderez-vous. Tantôt c’était  » quelque part près de Murcia « , tantôt  » une ferme non loin de Málaga « , ou encore  » notre villa sur le port de Cadix « .
De ces personnages, celui que je préférais était le plus exotique de tous :  » celle dont la famille venait d’Afrique du Nord « .
La Mauresque.
 » Si tu savais, mon fils ! Il faudra qu’un jour nous allions visiter ensemble Grenade, Séville, Cordoue… Le triangle magique ! C’est là que mes ancêtres ont participé à l’éclosion de la plus belle civilisation du monde. La cité était gouvernée par les poètes et les philosophes. L’art régnait en maître. Je t’ai montré les photos de ce qu’on appelle les pueblos blancos. Des maisons à échelle humaine, aux murs blancs, symbole de pureté. Des fenêtres et des portes bleues pour rappeler que nous devons tout au ciel. Et nos églises… Qui n’étaient pas des églises d’ailleurs mais des mosquées, et sont encore considérées comme des bijoux d’architecture. Nos pauvres mosquées martyrisées, converties en églises par les Rois Catholiques Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille. Celle-là !  »
Ma mère ne disait pas le mot : elle se contentait de lever les bras au ciel, fermait les yeux et l’articulait grossièrement, sans le son, pour que je le saisisse sans l’entendre.  » La puta.  » Bien des années plus tard, je ne peux voir un portrait d’Isabelle la Catholique sans penser intérieurement, comme l’aurait fait ma mère :  » La pute !  » Celle qui a expulsé ou brûlé Arabes et Juifs, celle par qui le malheur est arrivé.
 » Si cet imbécile de Colomb n’avait pas débarqué avec ses Galiciens, les civilisations aztèque, inca et maya auraient étonné le reste de la terre !  »
J’avais compris, très tôt, que ma mère haïssait de toutes ses forces ceux qu’elle appelait les  » Gallegos « , c’est-à-dire les Espagnols en général et les Castillans en particulier.
 » Dis-moi maman… papa, il est bien né à Madrid, non ? Avec ses cheveux presque blonds, sa peau blanche et ses yeux verts, il n’est pas gitan comme toi, ni maure, n’est-ce pas ?
– Ah ! çà, mon fils ! Ton père, c’est autre chose ! Il est castillan de naissance, mais il n’a rien d’un Gallego. Il n’y a qu’à voir son nom : Gonzalez-Manet. Le côté français de Manet est chez lui bien plus fort que les racines espagnoles. La France ! Ah, mon Dieu ! Paris ! Paris que j’aime !  »

Mes années Cuba, Edouardo Manet

Les derniers mots d’un de mes livres préférés

Ils n’avaient pas fait vingt mètres qu’ils furent cloués sur place. Des vociférations partaient de la maison. Ils se hâtèrent de revenir mettre le nez à la fenêtre. Et, de fait, une querelle violente était en cours. Ce n’étaient que cris, coups assénés sur la table, regards aigus et soupçonneux, dénégations furibondes. La cause du charivari semblait due au fait que Napoléon et Mr. Pilkington avait abattu un as de pique en même temps.
Douze voix coléreuses criaient et elles étaient toutes les mêmes. Il n’y avait plus maintenant à se faire de questions sur les traits altérés des cochons. Dehors, les yeux des animaux allaient du cochon à l’homme et de l’homme au cochon, et de nouveau du cochon à l’homme; mais déjà il était impossible de distinguer l’un de l’autre.

La ferme des animaux, George Orwell

Les 4 lecteurs dont j’aimerais connaître les 4 :

Zaz
Amina
Mehdi7
Marie-Aude

PS. Comme dirait Kenza just 4, but feel free to answer it either here or on your space.