Se saigner à blanc? Oui, mais pas gratos me disais-tu.
Ma mémoire sarcle les visages, cultive les endroits, exhume les souvenirs. Ma mémoire me forme et me déforme. Mes sens pourvoient à l’érosion du temps, aux ravinements de la vie, aux écroulements de mes rêves, aux glissements de mes fondations. J’ose approcher le miroir, ma main se tend, disparaît. Mon enfance s’actualise. Je ne pense plus. Mes sens gravent le moindre murmure, la moindre étreinte du vent. Je suis en pleine mutation. Décompte. Les saisons défilent. Je tamise les événements. Indomptés, mes sens en redemandent, ma mémoire est une futaie que je n’ose défricher. Apparaissent les débris tels des tessons émorfilés… Ma vie est une contraction que j’inscris dans le loess. Libre, nue, offerte au vent, enivrée par les cieux, émerveillée par le silence de la forêt. Confectionnée de millénaires, je replonge dans le limon, je suis femme de tourbe, fille de vase. Je subis l’invasion du temps, l’incursion des souvenirs communs, les empiétements de la censure, les raids de la raison. Ma mémoire témoigne de multiples éloignements, d’incessants écarts, de nombreux errements, d’incroyables déviations,
Je m’explore, je me parcours, je me sillonne, je me feuillette, je m’examine. Je me découvre nombreuses passerelles. Je creuse, j’évide, je fouille, je cure, je filtre, j’épure, je clarifie. L’espace n’a plus d’emprise sur moi. Je ne suis de nulle part, mais de partout. Conçue à partir de mille et uns exils. Je m’extraie de la glaise. La terre me cerne, me modèle, me façonne. Mes doigts forent, mes identités éclatent, scintillent et m’initient. J’ai tous les âges. Je me transpose, m’humanise, me déshumanise, me transgresse pour mieux me posséder. J’obéis à mon corps. Le soleil s’éclipse, le ciel s’assombrit, s’enténèbre. En moi crépitent nombreux feux. L’ondée. Les gouttelettes creusent sillons sur mon masque de terre. Mon corps est une topographie nouvelle, je suis une cartographie indéfinie. Je survole la mer, l’air salin investit mes pores. La lumière me guide, m’éclaire, m’attire, m’enveloppe, m’englobe, me dépouille de mes innombrables chronologies, me dépossède de mes innombrables naissances. Je suis polie, peaufinée. Je me découvre, me discerne, m’examine. L’océan m’infiltre, me traverse, me pénètre, me perce, je m’entrouvre, offre mes césures, re-possède mes réalités. Je m’arrache aux mains, aux regards, aux voix des historiens équarisseurs, loin des dépeceurs. Mes mémoires revivent, se renouvellent, ressuscitent, me rétablissent, me revigorent, me ragaillardissent. Les nuages défilent. Je ne connais plus l’effroi, je n’ai plus d’âge, je ne suis plus que saisons.

Chers passants, devant m’atteler à la tâche vu que je déménage de bureau, que je dois accueillir une délégation étrangère et qu’ensuite nous partons en vacances; je promets voler quelques minutes ici et là pour venir vous lire ou m’entretenir avec vous. Ne prenez pas mon silence pour du mépris (Ayoub, sourira en lisant ceci), mais comme je déteste the procrastination mode:-)have to do what needs to be done.
Mwah



L’amitié, Françoise Hardy et Michel Delpech