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Hier, j’ai pensé un ami aujourd’hui disparu. Il me suffisait de poser pied à La Havane pour courir à sa rencontre. En marchant sur l’avenue Paseo, je passais en revue tous les sujets dont je voulais l’entretenir, tous les articles lus. Les nouvelles du Canada et d’ailleurs. Lorsqu’il était là, ce bel appartement caché dans une rue peuplée de flamboyants en fleur devenait la ville elle-même. Chacune de ses intonations, chacun de ses regards exprimaient le pouls d’une réalité qui m’était étrangère. Deux de ses filles vivaient ailleurs. Dans cet appartement, il ne faisait jamais chaud. Nous nous installions près du balcon et avec une voix douce et pondérée, mon ami me posait des questions et j’y répondais avec plaisir. Il me taquinait souvent et me répétait: « Tu vois, nous sommes privés de beaucoup à cause de l’embargo, mais nous vivons malgré tout, nous exportons nos médecins, nos artistes, nos enseignants. Nous avons prouvé que nous étions capables de vivre et non de survivre. Il éprouvait une telle fierté pour ses filles. Une était installée en Suisse, une au Canada et celle qui restait encore à La Havane soutenait sa thèse en génie. La seule fois que je le sentis embarassé par une question fut lorsque j’abordais le limogeage de deux personnalités importantes. Je lui disais ne pas comprendre pourquoi une lettre d’aveux avait été publiée dans la presse et que ce geste faisait penser à une ère révolue. Toujours de sa voix pondérée, il me dit que ces deux-là étaient coupables et qu’ils avaient avoué et tout de suite, il changea de conversation, me resservit du riz et une fois le repas terminé, il m’emmena sur le balcon où nous poursuivîmes de parler de tout et de rien. J’aimais ces visites qui humanisaient mes séjours. Lui et mon autre amie avaient fait en sorte que je ne me sente jamais étrangère ou moins jamais comme une martienne.

Mon ami est tombé malade et mourut en moins de six mois. Je suis retournée chez lui, j’ai revu sa femme souriante et pétillante comme à son habitude. Ses plantes étaient toujours aussi luxuriantes, les flamboyants toujours en fleur, l’avenue des Présidents toujours aussi belle, au pied des ceiba reposaient des offrandes; seulement mon interlocuteur n’était plus.

Puis, sa dernière est partie pour le Canada, sa femme en Floride chez sa parenté. Et j’ai eu comme l’impression que le dernier des irréductibles était parti emportant avec lui cette chaleur qui me faisait l’adorer. J’ai déambulé dans la rue, en face de l’immeuble je me suis arrêtée, sur le balcon, les plantes étaient toujours aussi luxuriantes et les flambloyants étaient toujours en fleur.

Envie subite de revoir le film Habana Blues et de retrouver La Havane.