Les vacances s’annoncent. Une tempête de neige aussi. Une visite chez le toubib. Une cousine qui vient passer un peu de temps avec nous à Khmiss Batata. Je n’ai pas la tête à penser à quoi que ce soit. Bref, on verra en tant et lieu. C’est la saison du réchauffé. Je reposte un vieux billet pour éviter au Mythe de se perdre dans mes archives. Sur ce, je vais aller vider le compte en banque vu que je suis bien partie hier après-midi, autant continuer 🙂
Elle a décidé que je serai un personnage de fiction. Comme ça, tout de go, sans demander mon avis! Et me voilà, créée par une nomade malade parce que sédentarisée au milieu d’une vallée. Recluse volontaire, elle se terre dans le silence et me donne la parole.
J’ignore qui de nous deux a fait les premiers pas, laquelle d’entre nous a décidé que je prenne la parole.
Longtemps, j’ai observé sa vie. Longtemps, elle m’y a interdit l’accès. Elle aime entretenir des jardins secrets et y plante des chimères à défaut d’orangers. Des deux, elle dit que je suis l’irréductible, la nomade, celle qui rêve de déployer ses ailes. Les siennes sont de cire. Elle les colmate du mieux qu’elle peut espérant un jour prendre son envol. Elle entretient la diplomatie et vit à l’ère des compromis. La diplomatie? Laissez-moi rire, c’est juste bon à enrober le fiel. Depuis que j’existe, elle me supporte tant bien que mal. Parfois, elle me laisse le champ libre tout en s’inventant des vies. Patiemment, elle construit ses palais imaginaires que je viens détruire d’un coup sec. Elle rêve trop alors je m’érige contre ses sottises, ses idéaux. Coincée dans la vallée, elle contemple les terres défrichées il y a quelques centaines d’années par les colons venus du vieux continent. Elle imagine leur rude labeur. Leurs longs hivers, les étés torrides et les peaux burinées par le soleil et dévorées par les mouches noires. Elle accueille les nomades de passage et vante les avantages de la vallée à qui veut bien l’entendre. Elle parcourt le territoire tout en rêvant à d’autres cieux.
Le ciel du pays des ancêtres lui manque terriblement et c’est à ce moment qu’elle me permet de m’exprimer. J’entretiens son amour de la darija, langue qu’elle n’utilise qu’avec elle-même. (Le pays des ancêtres lui manque de moins en moins aujourd’hui en ce 15 décembre 2007)

Certains soir, je prends la relève. Je l’invite à sortir admirer la voûte céleste, je lui parle des étoiles. Elle y recherche le prénom de son père. Elle l’imagine la regardant et commence un monologue intérieur. Elle lui raconte ses journées et lui pose des questions. Puis elle se tait. Il lui disait souvent qu’il fallait communier par le silence. Elle laisse donc le silence meubler ses murs et colorer sa vie.
Elle me décrit rarement car je prends trop de place. Quand je la devine mélancolique, je me saisis de ses pinceaux et je barbouille la houle, les rochers et le fracas des vagues. Elle se laisse aller encore une fois à ses rêveries. Je l’installe sur mon dos et je m’envole loin de la vallée. Loin des descendants de défricheurs. Loin du fleuve. Loin des champs. Il faut bien que la fiction serve à quelque chose.