Dimanche 3 février
J’ai adoré voir les champs verts, cela faisait une éternité que je n’avais vu autant de verdure au Maroc. Tout se bouscule dans ma tête comme à l’accoutumée. Un tourbillon d’émotions qui prend aux tripes. J’ai toujours détesté les dimanches à Casablanca et j’appréhende celui-ci car j’ignore encore dans quel état elle est. Le revoir est superbe et puis juste avoir le temps de lui parler, le retrouver. Il a l’air crevé malgré son sourire.
Vue de haut, les terrasses de Casablanca ressemblent à des champs de tournesols avec les innombrables paraboles (allez-voir chez Dominique) qui balafrent l’azur quand ce dernier n’est pas otage du smog. Du balcon, j’observe la rue calme durant quelques heures, elle s’anime lentement. Anciennement nommée la rue de L’horloge, elle fut jadis célèbre pour ses péripatéticiennes, aujourd’hui pour quelques restaurants.
Je ne peux m’empêcher d’avoir un pincement au coeur à la visite de la ville de ma jeunesse. Mis à part quelques visages familiers tout y est étrange. Etrange aussi cette impression de démission. On croirait que tout le monde court après l’oseille. Ce fatalisme que j’affectionnais par moments me monte au nez. On croirait que la destinée de tout un peuple est entre les mains d’un mélange de superstition, de charlatisme et d’une foi pas aussi authentique que l’on aimerait penser. Derrière la devanture, je me hasarde à vouloir comprendre. De cette société dont je garde un attendrissant souvenir, me voilà à me surpendre à penser que tout le monde essaie d’entourlouper tout le monde. Je me demande où sont passées les valeurs inculquées, auraient-elles disparu? Pas le temps de décortiquer tout cela, je compte les minutes de repos et de sommeil. Besoin de faire le plein d’énergie pour affronter la nuit.
Son coiffeur qui a eu la gentillesse de se déplacer me dit ceci:
« On ne cesse de nous marteler des insanités. Quand des envoyés de l’ONU se pointent et disent que le Maroc serait sur la bonne voie, on nous assomme pendant une semaine avec des mensonges nous disant: oui l’ONU a déclaré que nous sommes sur la bonne voie.
On nous a fait rêver de pétrole. On nous a fait rêver d’une coupe du monde qui se tiendra en Afrique du Sud. On nous a fait rêver de Tanger 2012, mais cela se passera à Yeosu en Corée du Sud. Bref, nous sommes un pays de chimères. Nos enfants sont pour la plupart illettrés, sauf ceux qui ont la chance d’avoir des parents fortunés. »
Il me parle ensuite de ces gens qui travaillent pour la commune qui gagnent 40 à 50 dhs la journée, sont payés à la quinzaine et se voient aussi amputés d’une journée de salaire qui va dans les poches de responsables. Et ceux qui ont le malheur de dire non se voient carrément mis à la porte se faisant dire: « Tu fais pas l’affaire ».
Il y aussi K., mon ami, qui s’est déplacé et qui avec son magnifique sourire m’a parlé de ce qui ne marchait plus. L’annonce du décès d’un ami qui personnifiait, à lui seul, la joie de vivre.
Mis à part le mercantilisme criard, j’ai l’impression par moments de me retrouver sur la grande île au sud de Miami. Overdose du journal télévisé où tout va bien quand tout n’est pas exceptionnel. A croire que je suis maso de ne pas changer de canal. Overdose des expressions genre: Dieu l’a voulu ainsi. Overdose des discussions du genre: « Oui c’est vrai, je l’ai lu dans le journal ». Awah tkelekhna 7tal had l7ad?
Mais bon..Heureusement qu’ils sont là.
Bonjour,
Tu décris merveilleusement bien » le tourbillon d’émotions » qui nous submerge quand on revient au Maroc.
Fais le plein de tous ces sentiments qui te viennent, ce que tu vis tous les jours et ce que tu ressens ici c’est toi seule qui en est témoin. Ce décalage n’est perçu que lorsqu’on vit loin d’un lieu cher. Mais au bout du compte ce ressourcement te permets de réfléchir et de mieux aller de l’avant.
En tous cas c’est comme cela que je le ressens à chaque fois.
Bien le bonjour à tes proches et à la ville blanche!
J’attends que tu nous parles de tes impressions par rapport à la barbu-voilémania.
je pense que c’est plus flagrant pour quelqu’un qui n’est pas en contact quotidien avec le pays.
Chouette de se balader avec toi, Loula, à travers Casablanca. Et d’imaginer les non-dits à partir de ce texte elliptique. Quoique je sente comme un parfum de paradis, comme avait dit Arafat lors du siège d’un camp où il était retranché au Liban (Sabra et Chatila ?). Et que je m’en inquiète…
Il y a la «barbu-voilémania» comme tu le soulignes Fhamator et il y a aussi ce voile qu’on qualifie de voile moderne et qu’on retire juste avant d’entrer en boîte et que l’on remet lorsqu’on en ressort… D’ailleurs une chanson à écouter qui en traite est 7ijab Style que des mecs de Casa ont faite.
Bonjour,
Dominique, la douleur de voir cette ville sombrer dans la saleté et la pollution est intenable. Ces joyaux patrimoniaux de l’architecture délabrés sont une insulte à la ville et son passé. Casablanca grandit, s’étend, mais étouffe sans espaces verts et mince quand donc l’Etat imposera’til des normes en matière de bagnoles. Impossible de respirer, je compatis avec ceux qui souffrent de maladies pulmonaires.
Le Ramocain est propre chez lui, mais dehors c’est une catastrophe aucun sens civique. Man, ce que cette ville était belle!
Fhamator, tu connais l’expression ramocaine qui dit: » Li mkessi bi 7wayej annass 3ariane (celui qui est vêtu des habits d’autrui ne peut être que nu) ». Cette expression résume à elle seule tout le contexte.
Francis, tu as le don de lire entre les lignes.
Kennza, hehehe
Mwah et agréable fin de semaine,
Loula