Certains coins de la vallée étaient magnifiques ce matin. Le givre habillait les feuillus, seuls quelques conifères de vert vêtus et se tenant fièrement dénotaient dans le paysage. Durant le trajet, je ne pouvais m’empêcher de penser à la mémoire. Mais avant, je me suis surprise à penser que je n’attendais plus rien de la vie. Comme si mon présent résumait mes voeux excisés, mes projets avortés, mes nuits d’insomnie, mes instants de dépits. Mais aussi que la vie se vit à l’indicatif présent. Conjuguer au passé rassure. Comme si chaque souvenir était une étreinte rapprochant le ciel de la mer, le dôme de la glaise, les nues du limon des plateaux. Cette mémoire que nous transportons à travers les chemins escarpés, à travers les chemins fraichement défrichés. Envers et contre toute attente, cette mémoire nous habite, nous espérons la transmettre à nos enfants, aux gens que l’on rencontre, à ceux que l’on aime pour une nuit ou un chemin de vie avec cette illusion que nous parviendrons à atteindre les cimes. Je me souviens. Qui de nous n’a pas prononcé cette phrase au moins une fois dans sa vie. Mais au fait, de quoi aimerai-je me souvenir, et de qui?
La petite attend que je lui parle de mes amours et je n’ose crever la bulle dans laquelle elle vit. Il n’est pas d’amour durable, ne durent que les souvenirs des languissantes brûlures, des délicieuses morsures. Puis un amour chasse l’autre. Un souvenir l’emporte sur les autres et tourne la roue de l’existence. Je ne suis plus certaine de rien sinon que les plus belles histoires sont les plus intenses. Et les plus belles histoires ne finissent pas toujours bien. Et ma mémoire n’est pas forcément le parangon commun.

Ma langue ne m’appartient plus, pas plus que la culture de mes ancêtres. Ne reste que mon désir. Lascif, subversif me poussant une fois de plus à retrouver la chaleur d’un univers longtemps modelé. J’ai cherché dans les lieux de culte une source d’apaisement, dans les livres anciens un sens à ma quete. Toujours la même réponse du sacre sphinx qu’est la vie,
cherche encore, plus profondement en toi. Mon Moi devient donc un cratère où la descente se fait de plus en plus ardue. Se cramponner pour ne pas perdre pied face à cette conscience qui me musèle. Ne dis-pas ça, ne regarde-pas la. Basta! Je me tire. Je pars sans laisser d’adresse. Je
prends mes jambes à mon cou et je file. Je me débine. Je lâche tout. J’abandonne. Je fuis. Je quitte. Je fous le camp. En avant toute! Je me charge de vider la place, de placarder les orifices. Tais-toi, respire-plus, t’exprime-plus. T’as vidé ton sac. Chargez! Les tanks de la conscience sont là prêts à tirer sur ce qui semble différent. Intégrez les rangs ou barrez-vous voilà ce qu’on lit sur les étendards.
Ma! J’ai envie de gueuler moi. Rien à dire, rien à branler. Du pareil au même, kif-kif dirait l’autre. Désolée je ne suis que moi. Individu parmi tant d’autres et je tiens à meubler le décor
impersonnel. Les regards lubriques. Les oreilles chastes. Le savoir-vivre et le savoir-faire, rien à cirer de tout ça. Prédateurs, nous le sommes tous, mante religieuse, larve de cicindele, larve de fourmillion antlion, nymphe de libellule. je rêve d’être saturnie cecropia, monarque, géomètre, écaille martre, isia isabelle, arpenteuse de l’orme. Je rêve d’avoir des ailes, papillon tigre, et surtout ne pas devenir hydracarien, tout sauf ça. Passe le cap des épreuves et des concours who’s zeee best. Tout ça c’est de la poudre pour pseudo-orpailleurs. Fait que je m’installe et je brode comme je conjugue. Chacun son dada, le mien je le connais trop bien. J’veux plus
faire de concessions et encore moins passer ma vie à faire l’autruche.