De temps en temps et pour des raisons strictement personnelles, je formule un numéro à La Havane. Chaque fois que mon amie répond de sa voix décidée, mes journées s’illuminent. Je commence toujours par lui demander comment vont ses petits-enfants, son époux, sa fille, son gendre etc.. Nous parlons de tout et de rien. De la vie qui passe, de ma prochaine visite, des gens que nous aimons. Elle me redemande si je viens toujours en novembre, je l’assure que oui, que mon billet est déjà payé, que j’ai enrichi ma garde-robe de coton et de lin blanc. Elle me parle espagnol et anglais et je la suis. Je l’imagine passer d’une pièce à l’autre dans sa maison de Santa Fe. J’imagine le perroquet faisant la sieste et ces deux chiens ronger un os ou courir l’un après l’autre. J’imagine sa petite fille danser et dessiner la vie sur des feuilles que je ramenerai à sa cousine qui vit ici. Son époux préparer un de ces plats dont lui seul détient le secret. La présence douce de sa fille et son sourire si bienveillant. Le rire du petit dernier.

J’imagine mon autre ami qui sera mon roc de Gibraltar lorsque je serai perdue ou encore incapable de trouver la bonne expression. Je l’imagine toujours aussi majestueux avec ses cheveux et sa barbe d’une blancheur immaculée. Je revois sa femme, altière et digne descendante de gitans. Je me remémore mon dernier voyage, la poussière, le sourire des fermiers, les blagues, celui qui me taquinait en me disant que c’était bien la première fois qu’il voyait une Marocaine travailler pour des Canadiens, celui qui riait de mon accent.

Une heure de décalage, cinq heures de vol. La lumière de novembre que j’imagine. L’aéroport mal éclairé, les visages des douaniers. La chaleur humide. Les vêtements qui vous collent instantanéments à la peau. La lenteur des autos, les chiens qui somnolent en pleine rue. Les couleurs pastel des devantures. pourquoi toutes ces couleurs pour les plaques d’immatriculation. Apercevoir le Malecon et revivre, espérer avoir la même chambre avec vue imprenable sur la mer. Longer la mer et imaginer la vie des estivaliers du 19ème siècle et pourquoi pas m’imaginer boucanière.
La Havane c’est être foudroyé par le coup de foudre à chaque regard, c’est s’esclaffer avec des inconnus et parler comme si il n’y avait point de lendemain. Tout y est instantané.
Je me perds dans mes souvenir, hâte de retrouver cette ville, les gens qui l’habitent. Dans les ruelles de la vieille ville. Peur d’en oublier les sourires, les rires, les moments de complicité.

Me faudra patienter, passer par Houston, revenir au bercail pour qu’enfin je puisse fouler, à nouveau, le sol de La Havane.