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desobeissances

Octobre est toujours annonciateur des plus beaux orages, ces instants où les feuilles abandonnent les branches pour pleuvoir dans une danse lascive avant de reprendre leur envol sous les murmures du vent.
Les hommes sont encore dans les champs. Les tracteurs-récolteurs continuent de déterrer les trésors enfouis. Ici, tout le monde ne parle que du prix du baril, des prix au vrac, au carton, en sac. Enfin ces prix qui annoncent une belle année tant que personne ne s’amuse à réduire les prix. Comme à chaque année, il faut se hâter, car les premiers gels sont à nos portes.
Dans cette vallée qui est devenue mienne, j’ai encore beaucoup à apprendre. Apprendre des silences. Comprendre. Comprendre ce qui se trame sans en avoir l’air. Jouer du coude sans démontrer la moindre agressivité. Ma vie est une pièce dont le scénario ne cesse d’être réécrit.
Voilà que je repars vers ailleurs. Vers la Isla Grande. Entre un passé flou, un cousin perdu dans la foule havanaise. Encore ma manie d’établir des liens. Je sais qu’il existe ce cousin, j’espère seulement le retrouver. Et pourquoi pas? Ce serait ma façon, une fois de plus, de servir de lien. Ne dit-on pas que je suis celle qui rassemble? Moi qui viens de partout et de nulle part, moi à qui l’on s’adresse en hébreu et qui selon certains ai l’air si yéménite. Moi, la descendante d’une tribu qui a décidé de laisser tomber ses hardes et accepté de se sédentariser, alors que je ne pense qu’à cette grande tente délaissée. Moi qui ai aspiré à d’autres azurs et qui en cours de route ai déposé ma besace de nomade parce que la smala valait bien plus que le Pérou ou l’Égypte. Moi, dont la mémoire est pétrie par La mort heureuse car cette dernière viendra au bout d’un filet de pêcheur au gré d’un crépuscule. Du moins c’est comme ça que j’imagine ma fin. Il me faut avouer que, sur ce point, j’ai longtemps rêvé que je finis sur une plage africaine de l’Atlantique après une longue chevauchée abandonnée par ma monture qui à bout de souffle, se cabre me laissant choir tête première sur une énorme roche. Un filet de sang, et, surviendrait l’obscurité. Que voulez-vous, de ce passé nomade ne me reste que le souvenir d’une monture me transportant de lieu en lieu. Mais les oasis se font rares et je suis fatiguée.

Je suis née à dix-sept heures trente par un soir d’automne pluvieux. Pendant des années, j’ai évolué dans un univers feutré. On raconte que mon père voulut assister à ma naissance, mais que le bougre d’obstétricien l’en avait empêché. On raconte tellement de choses pour embellir une naissance. Chose certaine, une partie de cartes eut lieu et c’est ainsi que je fus nommée juste avant le massacre de sept agneaux qui scellèrent, de leur sang, mon appartenance au clan. Il fut convenu que je devais porter un prénom mi-hautain et mi-conservateur. Mon père, artiste dans l’âme tout en étant énarque, refusait la hamza finale, je ne pouvais être qu’aspirant au ciel, à une altière présence sur terre. Pendant de longues années, je fus prise d’un dédoublement sémantique. La hamza prononcée chez les Doukkalis disparaissait chez les Marrakchis et Souiris, je devins sans le vouloir candidate au dédoublement identitaire et linguistique le plus primaire.

Si j’écris ceci aujourd’hui, c’est que j’ai envie de me défaire de bien de bagages que je traîne sans le vouloir. Je n’ai jamais demandé à naître, mais maintenant que je suis ici autant faire le tour et tâcher de ne pas trop m’attarder sur les futilités. Je n’ai jamais su parler de moi, et là me faudra bien le faire. Non pas pour toi, lectrice et lecteur, mais cette fois ce sera pour moi. De toutes les thérapies, le délire épistolaire est celui qui me convient le mieux. Je te remercie déjà de ne pas sauter aux conclusions, ni chercher à analyser ces propos. Je sais que je peux compter sur toi. Je tenterai de ne point te heurter en te demandant toutefois de ne tomber ni dans l’éloge ni dans l’approche psycho-socio-linguistique d’une transe annoncée et annonciatrice.

The Stranglers, Golden Brown