Je pourrais bien m’imaginer écrire une épopée. Mes souvenirs se contentent de figer un semblant de topographie. Ils ne métamorphosent en rien la vie. Ils ne font que modestement cueillir des instantanés. Ils révèlent des empreintes. Ces souvenirs me plongent dans l’ethnologie de mon corps, de mes sens. Et combien même figent-ils pour un instant des visages, font revivre des émotions, ils ne font qu’esquisser des silhouettes de l’oasis, de la plaine, de l’océan, du fleuve, de montagnes, de champs enneigés, des êtres aimés, de passés imparfaits.
Ils m’avaient dit que cela était bien primitif que si cela ne faisait pas mon affaire de les rayer de ma mémoire. Mais je la trouve ambiguë cette notion de primitif. Car si primitif signifie début, genèse, les sens donnent naissance à l’amour et ce dernier est raffinement plus spirituel que physique qui laisse loin derrière lui les élucubrations des tabous et des gardiens de la rigidité sociétale.
Et si mon instinct primitif sous entend, à leurs yeux, dévergondage; mes amours ont civilisé ma pensée. Si primitive je suis, grâce soit rendue au tourbillon invitant.
Ma candeur n’est restée jeune que par refus de l’obscurité et de ses cruautés. La certitude est souvent obscure et cruelle. Je n’ai jamais connu de loi. J’ai désobéi. J’ai sauté par dessus la frontière ignorant la place qui m’était destinée. J’ai déserté terre, langues et cultures pour me retrouver dans d’autres.
Ma mémoire ne se cantonne pas aux ossements de mes ancêtres ni aux langues qu’ils parlaient. Je laisse libre cours à ma sensibilité et ne prie plus au singulier.
J’essaie tout simplement de donner un relief à une réalité qui fut mienne.