Je n’ai pas d’âge, mais je n’ai pas non plus celui de conquérants.
Le frère d’une connaissance passe chercher le premier paquet. J’ai tout juste le temps de prendre le troisième café, bien corsé, qu’il nous faut appeler un taxi. La fatigue commence à faire effet, alors faut bien carburer même si je sais que je vais en payer le prix.
Durant le trajet, je parle de tout et de rien. Je décris, en offrant ici et là une note d’histoire. Nous entamons la traversée de la 5ème avenue et ses belles villas datant de l’époque où l’argent coulait, où les riches faisaient la loi, où les résidents étaient d’ascendance européenne. Tout est beau, sauf l’ambassade de Russie. Cette dernière construite durant l’âge d’or de l’Union soviétique est d’une laideur indescriptible qui défigure le carré où elle trône. Toute de béton bâtie surplombée d’une tour phallique, dotée d’une mega antenne elle me semble surveiller ce beau quartier. Je n’y peux rien, je ferme les yeux à chaque fois que je la vois. Pardon, mais les architectes soviétiques ce n’est pas mon fort.
Tous les amants ont tenté de me remodeler à leurs images. Ils ont, tous par mes passés, ignoré que malgré ma blancheur d’apparence je suis la plus africaine d’entre toutes. Écoute-moi chanter et parler, regarde-moi me déhancher, déguste ce que je t’offre. Tends l’oreille lorsque je prononce mes prières, que je cueille une fleur ou que je dépose une offrande.
Donner son nom, présenter une copie du passeport (chuis imparfaite, je ne sors jamais avec mon passeport, mais toujours avec une photocopie), laisser le téléphone et ordinateur à la section sécurité pour entrer dans l’ambassade. Il y a deux entrées: celle pour les demandeurs de visas et celle pour le personnel et les visiteurs ayant rendez-vous. Attendre pour une demande de visa sous le soleil, c’est quelque chose qui m’échappera toujours. Retrouvailles, salamalecs, rencontre des nouveaux visages et beaucoup de parlotte, parce qu’il le faut bien et parce que c’est toujours bien de garder contact avec son ambassade à l’étranger. Nous parlons de tout et de beaucoup.
Gladys, les yeux pétillants, me parle de son nouvel amoureux. Gladys est une encyclopédie. Avenante et toujours prête à répondre à mes questions. Sans elle, je crois que je serai perdue. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un de sa trempe. Elle aime me taquiner en glissant quelques mots en arabe.
Joséphine, jeune maman, me montre des photos de son bambin que j’ai hâte de prendre dans mes bras.
Raúl me serre si fort dans ses bras que j’en fonds d’affection. Il approche de la retraite. Il a gardé ce regard d’enfant frondeur toujours prêt à sourire à raconter une blague, et ce, malgré le poids des années.
J’ai faim, j’ai soif et ai hâte à midi. Réunis sous le toit du restaurant El Ajibe, nous racontons des bribes de vie comme pour remonter le temps et effacer l’éloignement. Se donner des nouvelles, partager des photos. El Ajibe désigne une jarre ou une citerne, moi je préfère la jarre puisque je préfère que cela vienne de Khabia. C‘est ma traduction et j’y tiens. Ici, on mange le poulet cuit dans une sauce à l’ail et l’oignon pour être ensuite rôti. Du riz et des fèves noires ou encore une des versions du plat Moros y Cristianos. Il est des traditions qui ne meurent pas.
Le Blanc et le Moro à jamais unis. Tu vois que tu commences à percevoir entre les lignes. Reste encore et je te conterai mes vies.
Il faut repartir, un autre rendez-vous du côté de La Rampa. Nous nous promettons de nous revoir avant le départ, de sortir assister à spectacle ou encore de manger ensemble. En montant dans le taxi, je ne fais plus le guide. Je me concentre en cherchant les mots. Je suis nulle en espagnol et il me faut éviter toute confusion. Pourquoi ai-je bu trois cafés? Rester zen, respirer et repousser les palpitations qui se font de plus en plus insistantes. Fermer les yeux, penser à autre chose.
Me permets-tu de te bercer? Tu verras, je te parlerai de mes aimants.
Penser à demain, aux rires des écoliers. Demain sera forcément le présent d’aujourd’hui.
Imagine-moi rivières, fontaines et lacs. Je ne suis pas la sauvageonne domptée que mes successifs amants ont cru faire de moi.
moi, la casanière, je voyage à travers tes lignes et voit à travers ton regard, et pour un temps, j’emprunte tes ressentis, ce fût un délice, tu devrais écrire chaque jour, un vrai carnet de voyage..tbarkellah 3lik
Je vais tenter, ma voisine, je vais tenter. Écrire m’est devenu aussi difficile que parler, alors de là à relater… Je m’enfarge et tout se noue. Mais, je te promets d’essayer de dénouer le tout. Mwahates et merci!
justement, tu n’as pas besoin de faire d’efforts, t’as tout, juste laisse toi aller, même avec des noeuds, suis sûre que ce serait de jolis noeuds artistiques…merci à toi
Tu vois, tu m’encenses et je risque de flotter et de paresser. Mwahates ma voisine. Merci à toi!