Parce qu’il faut bien meubler cette nouvelle tente, recyclage quand tu me tiens. Promis, je reviendrai la tête pleine d’histoires, de tranches de vies et d’anecdotes.
I
Est-ce parce que je suis née ailleurs, est-ce parce que les routes sont glissantes, est-ce parce que tout est au ralenti depuis une vie… Est-ce parce que les humains sont devenus avides de sensations fortes ou encore parce que la vie nous impose des choix pas toujours évidents… Est-ce parce qu’il est plus facile de faire dans le noir et le blanc au lieu de d’accepter les zones grises… Est-ce parce qu’il faut paraître plutôt qu’être tout simplement… Est-ce parce que coule en nous ce désir de gagner qu’il faut être dépourvu de scrupules… Est-ce parce que le cynisme semble ouvrir les portes et que la candeur soit signe de faiblesse… Est-ce parce que gueuler soit acceptable et se taire soit mal vu… Est-ce parce que la pérennité soit devenue le but à atteindre… Est-ce toujours donnant donnant alors qu’il est plus gratifiant de voir un sourire se dessiner sur les visages… Est-ce cette rage du pouvoir qui pousse certains à vouloir être les premiers même quand ils ne racontent que des niaiseries…Le silence est d’or disait les Anciens… Le tapage est de rigueur répondent les Nouveaux…
Ici, rien ne bouge… Les saisons sont les mêmes, elles s’étirent jusqu’à nous envelopper du suaire de la drabitude ambiante… Les consultants des univers ont déclaré une trêve. Dorénavant, il nous sera possible de circuler d’un univers à l’autre. D’un campement à l’autre… Il y a à peine trois jours nous devions nous dévoiler l’épaule afin que les scanners puissent lire nos identités. Depuis trois jours, les inspecteurs de l’identité sanitaire ont disparu. Les gens se méfient encore les uns des autres et surtout conseillent aux plus jeunes de ne pas quitter les limites de notre univers…Notre univers est l’envie des autres univers répètent-ils sans arrêt, les enfants et les femmes ne doivent pas s’aventurer en dehors des limites du Dôme. C’était il y a longtemps, du temps où nos géniteurs étaient enfants. Ils racontent que les consultants avaient réussi à se départager le grand univers. On raconte qu’auparavant les gens circulaient et voyageaient dans les airs. Ils voyageaient tellement qu’il devenait impossible aux Hauts Commissariats à la santé de freiner les pandémies. Les gens tombaient malades et mouraient en quelques heures. Tous les univers se pointaient du doigt… Puis, commença une chasse à tous ceux qui présentaient des signes de faiblesse. Les gens s’organisaient par quartier, ceux qui parlaient plus fort devinrent des chefs et commencèrent à ordonner de se méfier des malades… Ils coûtaient trop cher au Haut commissariat de la santé… Ils étaient malades… Il était plus judicieux de les tuer que de les laisser mourir à petit feu et risquer que plus de personnes soient contaminées… Ainsi, dans chaque quartier, des brigades s’organisèrent à creuser d’immenses fossés où n’en finissaient pas de crépiter d’immenses flammes… Voulez-vous voir vos enfants mourir… Non, alors il est de votre devoir de rapporter tout comportement suspicieux… Les malades n’auront plus droit de cité… Au début, on brûlait les Autres, ceux que les grands oiseaux déposaient… Puis, on se mit à brûler les vieux… Plus on brûlait, plus les consultants en redemandaient… Il fallait éradiquer les maladies…anéantir les faibles et surtout il fallait obéir et rapporter.
Quand les Consultants furent assez forts, ils se réunirent et par un concours de hasard furent tous atteints d’un mal qui les foudroya après un repas copieux. Tous moururent, sauf un. Le Consultant suprême qui veille sur nos vies. Il en fut de même pour les autres univers. Certains murmurent parfois que les Consultants suprêmes sont des frères qui assouvissent la vengeance de leur père ou de leur mère. Ils se ressemblent à en croire leurs images diffusées vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur le dôme. Ils portent tous une tunique blanche avec pour seule exception la couleur du cercle sur leur épaule gauche.
Ils avaient commencé par les malades et se mirent d’accord pour ficher les habitants. Ainsi, chaque personne dans les univers civilisés par le travail acharné et poussé par l’abnégation des Consultants suprêmes; qui ne voulaient que préserver leurs univers répétaient-ils, eut droit à une micro puce sur son épaule droite. C’était un vaccin, disaient-ils, qui protégerait contre d’innombrables maladies. Il y eut des réfractaires. Pour ces derniers, le châtiment était des plus terribles. Toute activité cessait et tous étaient sommés de sortir et regarder les images diffusées sur le dôme. Les réfractaires, graine de rébellion et d’instabilité comme on les surnommait, étaient arrêtés sous les yeux de tous. Les inspecteurs commençaient par leur demander pourquoi ils refusaient d’être inoculés et qu’ils devaient penser au bien être de la communauté, que leur comportement était dangereux et qu’il leur fallait se conformer et obéir pour le bien de tous. Les inspecteurs prenaient ensuite leurs papiers d’identité et déclaraient sans pour autant laisser aux réfractaires le temps de répondre à leurs questions accusatrices qu’ils étaient désormais des sans identité. Pendant qu’un inspecteur se plaisait à déchiqueter les papiers, d’autres giflaient le réfractaire, riaient de lui et le prenaient pour un ‘punching bag’. On l’attachait ensuite sur une roue fixée à un chariot. Sur le chariot étaient cloués des pics qui à mesure que la roue tournait, s’enfonçaient dans les membres du réfractaire. Tous étaient obligés d’assister sans rien dire sinon répéter ce que le crieur public attitré à chaque quartier scandait. Les réfractaires nous menacent, les réfractaires sont dangereux pour notre bien être, les réfractaires sont des maladies mortelles qu’il faut éradiquer. On restait là à scander des mots que le Consultant suprême avait décidé. Puis, les inspecteurs détachaient le réfractaire et le rouaient de coups avant de le lancer dans le fossé. A chaque jour ce rituel se produisait jusqu’à ce qu’il devienne hebdomadaire, mensuel. Tous se méfiaient les uns des autres et tous craignaient les coups à leur porte. Les femmes se terraient, les hommes marchaient la tête basse, les vieux n’osaient plus raconter leur jeunesse et les enfants, garants de l’avenir de l’univers, étaient pris par le Haut commissariat à la santé, pour devenir les leaders d’un univers meilleur. Ils étaient tous adoptés par le Consultant suprême qui les suivait partout via une image holographique.
C’est donc par un matin du troisième quartier de lune que tous les Consultants suprêmes de l’univers avaient signé un Traité, celui de la libre circulation; et avaient par la même occasion élu le Supra Consultant Suprême qui devait, désormais, parler au nom de tous. Il fallut attendre quelques lunes avant de voir les crieurs publics réunir les habitants et leur annoncer qu’ils étaient libres de circuler, mais qu’il fallait encore se méfier car les trêves n’étaient pas synonymes de réelle accalmie. C’était un monde nouveau qui s’ouvrait à tous.
II
Il y a longtemps, nous racontait un des Anciens, la peur s’installa petit à petit dans nos rues, nos réunions, nos sorties, nos foyers et tout simplement nos coeurs. Le Consultant Suprême ayant étouffé toute opinion contraire se mit à parler comme le représentant de la Connaissance Suprême. Cela dura un moment, puis des écervelés las de ne pas voir leur heure de gloire arriver se mirent à prophétiser, chacun de leur bord. Ils travaillèrent des années durant en silence et se défendant d’être simplement des adeptes de la Connaissance Suprême. Puis, le terrain libre, ils commencèrent à jeter l’anathème sur quiconque ne cadrait pas avec leur vision de la vie qu’ils projetaient d’établir au delà du Dôme. Car, disaient-ils, le Message ne pouvait avoir de frontières terrestres.
Cela avait commencé de manière simple et directe, une insulte pour intimider ceux qui refusaient de baisser la tête. On avait commencé par les insulter: Impie, ce terme condamnait la victime, la dépossédait de son statut de membre du groupe, l’avilissait, la déshumanisait. Un des Consultants plus au sud avait même insisté pour que la non conformité aux principes de la Connaissance Suprême soit inscrite dans la Constitution de son fief on pouvait lire à l’article 306 : « Chaque citoyen coupable de non conforminté et d’absence de foi en Nous sera invité à se repentir sur une période de 36 heures. S’il ne se repent pas, il sera condamné à mort et sa propriété sera confisquée par la Trésorerie du Dôme » Et pour mieux apeurer le monde l’article continuait avec ceci: « Tout citoyen majeur qui refuse de croire tout en niant cette responsabilité sera invité à s’en acquitter en professant publiquement sa foi en la Connaissance Suprême véhiculée par nul autre que le Consultant. Son corps, après constat de décès, sera jeté en dehors du cercle sacré ».
Puis, venaient les intimidations physiques. Les milices des prophètes firent leur apparition dans les rues. Lâches, leurs membres ne se déplaçaient jamais seuls, ils devaient être au moins 10 afin d’imposer la crainte. Aussi perfides que les inspecteurs des Hauts commissariats à la santé. Ils gifflaient les femmes, les traitaient de putains, leur assenaient des coups de fouet tout en poursuivant leur chemin. Ils avaient comme les inspecteurs développé un plaisir sadique à rabaisser et terroriser les habitants. Ils avaient réussi à instrumentaliser la torture en jetant leurs « ennemis » au bûcher jurant que l’Univers était menacé par les libres penseurs, les démocrates, les homosexuels, les femmes, les enfants d’union libre, les poètes. La démocratie était l’ultime ennemi. Car cette dernière niait la préséance de la Connaissance Suprême. C’était un concept abominable dont il fallait se débarasser au plus vite.
L’Ancien fit une pause, soupira et nous dit avec un air triste: Voilà ce que nous vous léguons désormais des Dômes démunis de tout bon sens. Des champs infertiles, des lits de fleuve asséchés et des hordes de vampires prêts à tout pour mieux boire votre sève. Nour lui prit la main et murmura: Continue Ancien, continue.
Pas ce soir, trop de sang, trop de privations, trop de mensonges viennent hanter le vieux que je suis devenu. Demain, mais ne vous aventurez pas loin car ils rôdent.
Qui?
Eux, les ennemis, ils rôdent…
Il se leva et monta les marches d’un pas incertain. La nuit s’installait lentement et les hauts parleurs indiquaient d’une voix toujours aussi monocorde, mais avec un fond de fanfare militaire, qu’il fallait encore faire attention et se méfier des étrangers.
Chacun de nous se dit à demain. Plus rien ne semblait certain aux yeux des Anciens alors que nous n’avions pour seul soleil l’insouciance de l’enfance.
III
Nous avions grandi avec ce mélange de crainte envers la pensée subversive et de méfiance envers l’Autre, notre frère. Inutile de nous hasarder dans les labyrinthes de la pensée importée, les grandes pancartes et les discours nous rappelaient que nous étions victimes de la cupidité du camp adverse.
Seul le fou du Dôme disait autrement. Certes, disait-il ils ne se sont pas mis d’accord, mais cela valait-il la peine d’alerter les autres Dômes? Les Dômes, hier frères de sang, s’entredéchiraient pour deux oasis. Il avaient tous fait le chemin un peu plus au sud. Ils avaient été invités par le sage devenu premier président de son pays. Ce sage, socialiste par ailleurs, voulait garder de bonnes relations tant avec le Dôme de l’Aigle qu’avec les autres forces qui volaient sur le ciel de cette grande étendue tels des oiseaux de proie. Hôte, il avait invité le Ras Tafari à faire l’arbitre dans une de ces innombrables joutes que connurent les Dômes une fois l’Empire « parti ».
Le représentant du frère avait comme défendeur le Rayess de la cause pandôme qui rêvait de voir une seule terre de l’est à l’ouest; l’Orateur: avocat bouillonnant rendu président et ayant décidé de devenir communiste. Ces derniers soutenaient le frère qui répétait à qui voulait bien l’entendre que notre Dôme allait évacuer les deux oasis ce que nous niions avec force.
Le Conseil du Dôme décida de couper tout lien diplomatique avec les pays du Rayess et du Lion. S’ensuivirent quelques bombardements, puis plus rien.
Bien entendu, nous continuions à importer du Dôme de l’Orateur. Ce dernier avait, avec son Conseil, une vision sur ce que la solidarité devait être. Bien que des mouvements continuaient de combattre l’Empire il se devait de différencier entre les mouvements de libération dits de confiance et les clowns. Il basait son support sur la reconnaissance internationale de ces mouvements de libération avec pour vision une similaire à la sienne et que ces derniers reconnaissent le leadership de son Dôme.
Pourquoi? Demandions-nous au fou.
Le fou nous expliquait que les rapports ne furent pas toujours difficiles. Qu’il y eut une période où nous entretenions de cordiales relations et ce même au début du blocus de l’Empire voisin de l’Orateur. Mais, nous avions, selon ce dernier, envahi les dunes de sable, plus impardonnable nous nous étions portés volontaires, en répondant à un tyran , en allant camper nos effectifs militaires aux côtés des armées de l’Empire à Shaba (Katanga) combattre des exilés qui avaient le soutien de l’Orateur. Le fou se hâtait de nous dire que si l’Orateur avait jugé bon de donner son soutien, son compagnon de route, aujourd’hui disparu ,ne donnait pas cher de la vision de ces exilés.
Chaque fois que nous écoutions le fou, nous revenions déboussolés. La politique et les guerres étaient et demeuraient des jeux de pouvoir opaques que nous craignions. Nous nous quittions en nous promettant de ne pas jouer à la guerre comme les grands.
IV
Une fois de plus, l’agitation s’empara du Dôme. Il y eut ceux qui complotaient au grand jour selon les dire de certains, les égarés selon ceux qui possédaient le savoir suprême à savoir vouloir se la couler douce sans trop de pensées déviantes. Il aura fallu d’une petite brêche dans le mur pour que la lézarde grandisse et menace notre société dirent-ils. Depuis quand avait-on le droit de penser tout haut ou encore d’écrire. L’écrit n’est-il pas signe d’intelligence? Comment se faisait-il que des moins que rien pouvaient par leurs écrits être lus et comment les intouchables avaient-ils le droit de parler? Ceux qui prirent la défense de ces pauvres hères furent intimidés et reçurent le quolibet de gauchistes réactionnaires.
Ailleurs dans un Dôme lointain, un chevalier grabataire ne trouva mieux que de prendre pour second une seconde tandis que le monde criait au scandale. Mais ceux des Dômes extérieurs n’allaient pas voter et le chevalier du camp adverse risquerait de perdre des plumes parce qu’il eut la mauvaise idée de ne pas s’allier à une amazone rompue à l’art politique.
Des tempêtes tropicales nées en Atlantique prirent une telle ampleur qu’elle se changèrent en ouragans et détruisirent tout sur leur passage. Dans un des petits Dômes où la corruption, la violence, l’érosion avaient atteint l’inacceptable, l’impact des vents fut tel qu’il fallut des semaines pour comptabiliser les morts enfouis sous la boue. Alors qu’une aide parvint à cette partie du monde, un autre Dôme aura reçu moins de publicité. Ses dirigeants dans un élan absolument incompréhensible décidèrent de taxer l’essence qui passa de .65 cents à 1.65, certainement pour reconstruire les 440 000 logis détruits et acheter les semis pour remplacer les récoltes détruites. Mais encore, comment expliquer la hausse aux habitants qui ne gagnaient que l’équivalent de 18 tomates par mois? Non pas qu’ils aient le loisir de polluer comme ailleurs dans l’univers que nous habitions. Puis dans un Dôme aussi large qu’un continent, les fortes pluies, ou moussons, une fois de plus causèrent ravages. Dans un Dôme voisin, un élu avec une bonne avance sur ses opposants plus pâles renvoya l’envoyé de l’empire grabataire et un voisin un peu gaga décida d’en faire de même avec un discours enflammé et improvisé devant une foule semblable à une peau de chagrin.
Pendant ce temps, dans le Dôme du grand ours on se préparait à achever un voisin qui voulait plus de redevances pour laisser passer une ressource épuisable. La seconde du chevalier grabataire n’hésita pas à dire que son Dôme pourrait attaquer la contrée du grand ours. Ce qui devrait, normalement, inquiéter les alliés de ce Traité des contrées du nord de l’Atlantique.
Ailleurs, les soldats violaient impunément des concitoyennes moins blanches qu’eux et d’autres s’amusaient dans une horreur à peine concevable à tuer des concitoyens parce qu’ils avaient eu la malchance d’habiter le nord ou le sud, enfin c’est selon.
Nous nous levâmes en silence avec des corps aussi lourds que celui de la vieille liseuse qui nous contait la vie en dehors du Dôme. Nous avions vieilli sans nous en rendre compte et nous nous demandions quand le soleil reviendrait pour que nous puissions une fois de plus rêver à d’autres horizons que ces lignes ternes que les Dômes nous imposaient.
histoires de dômes, et d’hommes, parfois pas si Hommes que ça, que de lignes entre les lignes.
est ce vraiment la faute aux con-sultans ?
J’ai bien écrit Consultants, tu as oublié le t 🙂
Mwah
Et comme je l’ai déjà écrit, j’adore tes mots.
Mwahh…:))