Un vieux texte en attendant mon retour de Cuba.

Le mercure ne cessait d’afficher 36°Celsius. Pourtant, il lui semblait que la chaleur était beaucoup plus intense, plus insupportable. La brume qui emprisonnait la ville avait même investi la pièce. Il tenta tant bien que mal de trouver le sommeil, tourna sur lui-même et se retourna. Aucune position n’y fit. Il était bien condamné à subir l’insomnie. La respiration de sa femme étendue près de lui l’énerva. Comment pouvait-elle dormir de ce sommeil profond alors que lui ne pouvait trouver le repos. Vingt ans qu’ils partageaient le même lit. Vingt ans qu’elle s’endormait toujours avec la même facilité. Vingt ans qu’elle le laissait à lui-même. Il avait fini par lui en vouloir de rejoindre les bras de Morphée de cette façon. La première fois qu’un ami lui avait parlé des bras de ce fameux Morphée, son sang ne fit qu’un tour. C’était qui ce moins que rien avec un nom absolument barbare qui rejoignait sa femme durant son sommeil? Il n’avait jamais entendu parler de djinns, il connaissait Aicha Quandisha, mais priait tous les soirs de ne pas la rencontrer. Non pas qu’il ne regardait pas les femmes et les jeunes filles. Non, Dieu était beau et aimait la beauté et des yeux c’est fait pour admirer. Mais un homme invisible près de sa femme, non ça il ne l’avalait pas et personne, personne n’arriverait à lui faire changer d’avis sur le sujet. Son ami le taquinait. En fait, son ami se prenait pour un érudit pensait-il. Il étalait sa culture, se pavanait tel un paon. Mais, lui veillait au grain. On commence toujours par une plaisanterie ambiguë pour ensuite ensorceler les femmes qu’elles soient célibataires ou appartenant à un autre. Car le mariage n’est-il pas vœu d’appartenance et de possession? Lui, n’appartenait qu’à lui-même aimait-il se répéter en silence. Mais ce corps étendu près de lui, ce corps il le voulait sien combien même ce dernier se refusait à lui durant des nuits et des jours. Quant à son esprit, il souhaitait en prendre possession ne serait-ce qu’une fois. Mais n’était-il pas permis de rêver? La voir exaucer ses souhaits sans qu’il n’ait à les prononcer, ni à les justifier. Que de brume, aussi épaisse que ce maudit brouillard, enveloppait le mariage. Mais n’était-il pas permis de rêver? Possession vs exorcisme. Il voulait la posséder non pas pour le plaisir, mais pour savoir ce à quoi elle pensait. Quant à lui, il se trouvait si transparent qu’il aurait aimé en être exorcisé, car malgré le silence lourd qui s’était lentement et sournoisement installé entre eux au fil des ans, il se comparait à un prisonnier traînant un énorme boulet.

Morphée, lui avait expliqué son ami, était un personnage mythique né d’un père apparemment dieu du sommeil avec un nom encore plus bizarre, Hypnos et d’une mère, Nyx, dont le nom signifiait nuit. Morphée, lui avait expliqué son ami, prenait la forme d’êtres chers et les emportait dans un autre monde loin des codes, des tabous et des interdits. Non, il se refusait à l’idée que sa femme puisse rêver, se projeter en dehors de lui et avec la forme d’un autre être cher. Qui pouvait bien meubler les rêves de sa femme? Il lui importait peu que Morphée ne soit qu’un simple personnage mythique, ce qui l’insécurisait était de savoir que sa femme pouvait rêver, avoir un monde en dehors de lui.

Et cette chaleur qui n’en finissait pas de l’étouffer. Lui, ne rêvait plus ou alors s’il le faisait il se voyait ailleurs entouré de belles jeunes femmes au bord de la mer. Parfois, il allait jusqu’à voir la magnifique tente caïdale divisée par des pans aux couleurs chatoyantes. Sa femme ne visitait jamais son univers onirique. Non, elle n’y avait pas accès. Déjà qu’elle le harcelait dans son quotidien. Elle ne cessait de réclamer et de le menacer. Au moins, au milieu de son jardin secret, il se laissait aller. Il vivait au son de la flûte de Pan, aux battements du bendir. Il laissait la mer et ses sirènes le bercer. Il devenait ba7ri lui qui n’avait jamais appris à nager. Il était à chaque songe Amir al ba7r. A lui les contrées lointaines. Les terres non défrichées, les îles inconnues. Il devenait explorateur du plaisir et de la vie. Dans d’autres rêves, il se voyait seigneur avec une armée, des oriflammes portant ses armoiries et son nom. Les guerriers scandaient et chantaient son nom. Une Aïta en son honneur, il allait jusqu’à rêver que ses vassaux n’étaient nuls autres que les ancêtres de Oulad 3guida avec leurs chants et la belle Fatna Bent Lhoucine sans cesse ressuscitée. La plaine rejoignait l’Atlantique, la fumée de la poudre s’estompait pour le laisser apparaître devant ses khemassas, feudataires, lui le roi de la Tbourida sur son étalon pur sang. Dieu, disait-il, était bon de lui permettre de temps en temps de se libérer de son quotidien, des ronflements de sa femme, des demandes excessives de ses rejetons, de ses amis taquins et cultivés, de la chaleur, de la ville, de ses habitants, des factures, des maux de ses vieux parents et encore et toujours de la mauvaise humeur de sa moitié. Non, la femme ne pouvait être tout droit sortie d’une côte car elle était trop susceptible, à fleur de peau. A moins que, comme lui rappelait son ami, toujours le même que; c’était la seule façon qu’avait trouvée Dieu de débarrasser Adam de son côté yin et ne lui laissait que le yang et la lumière du soleil. À lui donc la lumière, l’activité virile. De toutes les façons, elle le narguait sa femme. Certes, il y a longtemps c’était encore le bon temps, elle se faisait soumise et douce. Il en vint à penser que la soumission était la politique de survie des femmes. Toutes ses femmes autour de lui. Sa mère, ses sœurs, ses tantes, ses cousines. Longtemps, comme tous les petits garçons il eut droit à écouter leurs confidences. Il se souvenait du temps où sa mère le berçait. Il se souvenait encore et toujours avoir couru vers elle, avoir enfoui sa tête à la chevelure bouclée entre ses bras et poser sa joue sur son buste. Le sein, la première découverte et la première privation pensa t’il en soupirant. Fallait-il retrouver son enfance pour retrouver la quiétude? Fallait-il qu’il réapprenne à jouer aux osselets, qu’il rechante les comptines d’antan, qu’il se remémore les contes où Hayna était l’héroïne. Il se souvint de ce vieux conte de cette belle de l’Ourika accusée, à tort, d’adultère. Il se souvint de noms, de visages, de danses, de mots chuchotés, de corps effleurés dans la pénombre. Non, sa mémoire était encore intacte.

Il se trouva ridicule à chercher le sommeil, ridicule à espérer de l’affection de sa légitime qui semblait avoir banni cet état de leur quotidien. Ridicule à espérer enfouir sa tête contre la poitrine de sa femme. Comme d’habitude, elle lui tournait le dos et ronflait dans les bras d’un autre. Maudit sois-tu Morphée!

Puis, il se leva, monta sur la terrasse prisonnière du brouillard et appela d’une voix suppliante les sirènes qui avaient déserté ses nuits.

La voix de doc Charlastan le tira brusquement de son rêve. Elle lui était enfin apparue, elle, dans sa robe blanche. Elle, dont les cheveux dansaient au rythme du vent. Elle, dont le regard lui rappelait les eaux tumultueuses de l’Atlantique. Mais, voilà que comme à chaque samedi matin, et ce, depuis 4 semaines doc Charlastan n’en finissait pas de lui gâcher la vie. D’abord, il se déplaçait tous les vendredi soirs pour aller rejoindre sa famille. Roqaya, sa femme, celle qui n’en finissait pas de le faire souffrir; avait enfin gagné la fameuse partie de bras de fer. Cela faisait quatre ans qu’elle insistait pour qu’il leur loue une maison d’été. Quatre ans qu’il s’esquivait, quatre ans qu’elle le lui rappelait à chaque petit moment de plaisir qu’elle daignait bien lui donner au compte-goutte. Dès qu’il l’approchait ardent de désir ou tout simplement avide de tendresse, elle ne pouvait s’empêcher de lui rappeler d’une voix doucereuse. Moulay Tayeb, zine rjal (là, il fondait), tu imagines si nous étions dans une maison d’été, loin de la ville et de la pollution. Tu imagines comme nous pourrions être proches l’un de l’autre après une journée passée au bord de la mer? J’en finis pas d’imaginer voulait-il rétorquer à chaque fois. Mais il savait bien que Roqaya n’était pas femme à lâcher prise facilement. Il tentait tant bien que mal d’esquiver, mais elle finissait toujours par l’emporter haut la main. Et cette année à force de privation affective, il finit par abdiquer. Elle se fit douce durant tout le temps qu’ils cherchèrent. Elle ne voulait pas être tout près de la mer, elle refusait de visiter les maisons qu’il lui proposait. Non, elle cherchait une vieille maison de campagne, elle voulait absolument une grande cour centrale à ciel ouvert. Il la trouvait attendrissante cette femme dont il partageait la vie depuis vingt ans et qui redevenait tout à coup enfant en lui contant ses vacances d’enfance. Il était prêt à supporter ses petits caprices tant qu’elle lui ouvrait ses bras et le laissait s’y lover. Bien entendu, il y avait les autres femmes, mais quand Roqaya lui souriait il les oubliait, toutes insipides, même celles qui venaient meubler ses nuits blanches.

« Fik soukkar? La7laqam? Tanesiou, rumatizm? Tay derrouk leklawi? Hana khouya hani a khti, rani ma kounte gaa baghi nji ghir soute arrahma li gual liya nod nod, sir ddawi khoutek! »
Et pour ceux et celles qui ne comprennent rien à la darija:
Souffres-tu de diabète, d’amygdalites répétées, de rhumatismes, d’insuffisance rénale? Je me voyais mal partager ce talent, mais la voix miséricordieuse m’a ordonné de guérir vos maux! Me voilà donc parmi vous, frères et soeurs!
 »

« Que ne ferai-je par amour pour Roqaya! »

Il sortit de la chambre, resta un moment au milieu de la cour à admirer l’azur exempt du moindre nuage puis grimpa sur la vieille échelle qui menait à la terrasse. Perché tel un funambule, il vit la foule commencer à s’agglutiner autour de doc Charlastan. Ce dernier gesticulait devant les badauds. Une sonnerie de téléphone retentit, et doc Charlastan se mit à dire:

 » La choukr aala wajib, goul lha lihoum tta. Ha houwa wahed lmoumen kane mrid hana mane khebbi 3likoum walou yallah a khouna fel islam gol lihoum!
Ne me remercie pas pour ce qui est de mon devoir, dis-leur toi-même! Voici un bon fidèle auparavant malade qui témoigne de mes soins, dis-leur cher frère en Islam, dis-leur! »

La voix surgie d’un haut parleur récita un témoignage appris par cœur :

« Ana kanou halkini lbwasser wa diqqa ou dewezte aand chhal men tbib ou klite aarma del fanide, wash ngol likoum ya lkhoute, wa wafaqni ghir iilaj khouna fel islam, sir Allah Inewer iyamek, wi Ketter men mtalek wi Quawwi imanek, ana bghite lik lkhir wel lkhmir, dawitini, Allah Ihefdek wi Ighalbak aala ganss alghafline.
Je souffrais des hémorroïdes, de l’asthme, que de charlatans diplômés de médecine ai-je consultés, que de pilules avalées, mais sans aucune amélioration! Seul le traitement de ce frère m’a sauvé et extirpé ces maux chroniques. Puisse Dieu illuminer tes jours, Puisse Dieu te clôner, renforcer ta foi, que le levain de tes biens ne tarisse jamais et que Dieu te rende conquérant parmi les niais toi mon sauveur! »


« Wash golte likoum? Teqtou biya? Ha ila guatlak roumatiz ha lma issakhene like laadam, chroub jghayma ou goul besslama li diqqa. Der fi gualbek lamane ou had dwa may khib likch.
Me croyez-vous maintenant? Les rhumatismes te paralysent, voici l’eau qui fortifiera tes cartilages, bois-en une gorgée et dis au-revoir à l’asthme. Aie foi et ce médicament te guérira. »

Tayeb marmonna : « Allah i3tiq le7laquem, tsseketna chwiya ya lmoucha3wide. Que Dieu t’afflige de la pire des amygdalites afin que tu te taises espèce de charlatan! »

Il redescendit se servir un jus d’orange en attendant que Roqaya revienne du souq. Ce soir, devaient venir les cousins, leurs femmes et leur marmaille respective alors que lui rêvait encore à un moment en tête à tête sous les étoiles avec comme musique de fond la scansion de sa voix lorsqu’elle prononçait son prénom. Il espérait plus que jamais le silence ouaté de la nuit et son rire mi-pudique mi-effronté lorsqu’il essayait de l’attirer vers lui.

Jabaaane, Jabane koul ou bane criait une voix dans la ruelle. Décidemment, il ne comprendrait jamais rien à sa femme. Lui qui espérait un endroit romantique et elle qui disait que la romance pouvait s’installer partout en autant qu’il veuille bien lui souhaiter la bienvenue. Lui qui voulait voir la mer, elle qui n’en supportait pas les embruns. Lui qui rêvait de retrouvailles, elle qui en organisait pour sa tribu au grand complet. Lui qui n’espérait que quelques moments passés à faire la sieste avec elle, elle qui refusait l’intimité diurne.

Pour sûr, les hommes et les femmes venaient de deux planètes bien différentes. Son copain lui avait parlé d’un livre Men are from Mars, Women are from Venus. Dans son quotidien, c’était plus du genre les hommes de Had oulad Frej et les femmes de Tlate Sidi Bennour à en juger par cette maison d’été et le comportement de sa femme voulant à tout prix revivre son enfance.

D’abord il avait plu pendant une bonne partie de l’après-midi rendant les ruelles du village impratiquables. Tayeb se demandait encore ce qu’il lui avait pris d’accepter de venir passer son été à la merci des piqûres de moustiques et des odeurs pestilentielles. La nature, lui avait-elle dit. Si côtoyer le mulet du voisin, les poulets de Lalla Mbarka et les vaches de Haj Sadiq signifiait l’appel de la nature il était bien servi. Après, la prestation de doc Charlastan ce matin; les poubelles amoncellées vestiges du souk, véritable festin pour les animaux du coin sans compter les insectes, empestaient l’air. Lui qui aimait le poulet s’était juré de ne plus en manger dans le village et encore moins en demander aux nombreux bouchers du village.

Roqaya, elle, vaquait à la préparation de son fameux souper. Elle le taquinait quand il se bouchait les narines. Je pensais avoir épousé un homme viril. Je t’en ferai voir de la virilité si seulement je pouvais te toucher un instant eut-il envie de dire. Il se retint au dernier moment. Il savait ce qu’il aurait eu à encourir si cette si petite phrase, si vraie par ailleurs, avait été prononcée. Il se mit à toucher le géranium odorant pour ne pas lui répondre et alla jusqu’à imaginer son odeur entre ses doigts. La virilité selon Roqaya devait-elle impliquer un estomac en béton armé? Son estomac se contracta si subitement qu’il pensa étouffer.

Que cherches-tu continuait-il à se demander depuis ce matin. Un geste, un regard, un sourire affectueux? De la compréhension? Un soupçon de complicité, ne serait-ce que quelques secondes de pure communion.

Dire que Roqaya avait toujours été une femme froide et distante serait mentir. En fait, plus elle enfantait plus elle l’éloignait et s’éloignait de lui. Il avait souvenir des premières rencontres. Elle, timide et rougissante. Lui, hardi et impatient.

Bien entendu, il avait connu bien des femmes charmantes et intelligentes. Mais il y avait en elle quelque chose que les autres, lui semblait-il, n’avaient pas : sa candeur similaire à celle des jeunes débutantes. En fait, elle le séduisit par son silence. Il ne supportait pas les femmes qui lui tombaient dans les bras, mûres et juteuses. Prêtes á être consommées. Elle, par contre, avait cette beauté virginale. Il lui suffisait de l’effleurer pour voir sa peau satinée s’hérisser. Avec les années il vint à croire que ce n’était là qu’un stratège d’ingénue aspirant à devenir femme fatale. Il en était devenu obsédé. Lui qui aimait la présence des autres femmes, qui aimait leurs caresses, leurs taquineries, leurs longs soupirs amoureux, leurs voix chatoyantes et suppliantes lorsqu’il les accompagnait au seuil du plaisir, se détourna complètement de ses amantes aimantes. Il n’en avait que pour Roqaya. Elle était son Ishtar. Il devenait Samson et lui offrait sa force sachant fort bien qu’elle le castrerait encore plus de ses froids silences et ses ce n’est pas le moment, j’ai mal à la tête, on va nous entendre, plus tard, mais t’es devenu insatiable ma parole. Dès lors, il se recroquevillait, il se faisait petit, conciliant, attendait patiemment, comptait les jours, les heures, les minutes, les secondes, espérait ardemment un regard chaleureux, une caresse, un baiser. Non, Roqaya n’en avait que pour ses enfants, sa famille, ses amies et ses interminables conversations téléphoniques. Rares étaient les moments de grâce. Le dernier remontait au début de l’été. Un orgasme contre une maison de vacances. Il était convaincu d’être un objet consentant. Objet se mit-il à répéter, objet, simple objet, insignifiant petit objet, juste bon à inséminer, un misérable petit membre objet qui rétrécissait telle une peau de chagrin et dont la belle ne voulait plus. Il se ressaisit et se réconforta en pensant au bon vieux temps. Quelle période préférait-il? En fait, toutes les saisons de sa vie semblaient s’être donné rendez-vous à l’automne.

Son ami et professeur de mythologie comme il se plaisait à le surnommer lui avait parlé de Demeter. Déesse malgré elle de l’agriculture. Demeter avait une fille, Perséphone, que Hadès, maitre du pays de morts, avait enlevée. Chagrinée par la disparition de sa fille, elle en oublia la terre qui faute de soins condamna Olympe à la famine. Tu vois, elle ressemble à une autre déesse d’un pays plus lointain connue sous le nom d’Amarestsu déesse soleil. Son ami le perdait dans ses histoires de dieux lointains. Bref, le comportement de Demeter ne plut pas à Zeus car la famine fallait prendre ça au sérieux. Zeus envoya donc Hermes rencontrer Hades et ramener Perséphone. Cette dernière avait dégusté un miniscule grain de grenade ce qui la condamnait à passer sa vie sous terre, parce que entrer sous terre n’était pas facile que d’en sortir ou en darija dkhoul l7emmam machi b7al khroujou. Mais ils en arrivèrent à un accord. Perséphone irait voir sa mère en automne au moment où la terre se reposait et retournerait vers Hades pour les trois autres saisons.

Tayeb était perdu dans l’univers de la mythologie. Il se demandait si son ami n’en faisait pas un peu trop.

Mais, voilà, avec ou sans la mythologie; Tayeb vivait, bien secrètement, son automne qui semblait effacer les autres saisons. Son univers pensait-il n’était que grisaille et les bourgeons de son être n’obéissaient qu’aux rares et si espacées caresses de Roqaya. Autant dire qu’il se sentait telle une terre craquelée. Il n’était pas aussi cultivé que son ami, mais il savait pertinemment bien que cet amour qui le consumait, ce désir qui l’aveuglait, ce vide qu’il acceptait, cette carence qui le minait, tout ceci ne pouvait être partagé par Roqaya. Il était semblable à un chaton aux mains d’un jeune enfant. Il se laissait caresser et soudain se faisait tasser. Il avait depuis longtemps abandonné la moindre rébellion. Elle l’avait maté, complètement vaincu et pourtant il ne voulait point de se délier de ses chaînes. Il avait signé son acte de soumission et attendait sa délivrance.

« C’est bien toi, Tayeb! Les invités arrivent bientôt et tu fais ton fainéant. Mais pourquoi ai-je épousé un homme de la sorte?! »

Les paroles de Roqaya le criblèrent de toutes parts. Il baissa les yeux, chercha à respirer, se leva et sortit sans la regarder. Dehors, le village se remettait de l’orage. Les vieux étaient sortis et discutaient entre eux par groupes de trois ou quatre, les enfants couraient dans tous les sens. Il longea la rue boueuse, tourna à droite et se mit à marcher vers Tnine Al Gharbia. Derrière, les nuages avaient déserté le ciel et l’on pouvait deviner les vagues s’écraser avec fracas contre la falaise.